mardi, avril 23, 2024

La lettre COMB LAB : Transition avec et par de-là normes et devoirs

Dans un entretien récent1, deux chercheurs, en psychologie cognitive et en neurobiologie, font état de leurs travaux selon lesquels, les vertébrés, notamment les mammifères et tout particulièrement l’espèce humaine, pour des raisons de survie des espèces, ont développé une structure neuronale, le striatum, responsable de cinq motivations de base : manger, se reproduire, acquérir un statut social, minimiser ses effets et glaner de l’information.  Le striatum, centre du système de récompense, pousse les individus à accomplir ces actions sans limite en leur donnant du plaisir sous forme d’une molécule, la dopamine.

Notre matériau neuronal nous empêche de nous auto-limiter dans la satisfaction de nos envies. Cette surenchère de recherche de plaisirs nous fait soit ignorer la notion de bonheur soit la ramener à un bien-être matériel.

Laissons de côté les considérations morales et portons attention aux effets de ce câblage neuronal sur l’urgence de procéder véritablement à la modification de nos modes de vie pour enrayer la perte de biodiversité, et atténuer les émissions de polluants. Il est facile de comprendre que la soumission programmée au plaisir immédiat dévalorise, voire écrase, les intentions raisonnables de sobriété, de solidarité, de promotion des communs2.

Soumis à ces comportements pulsionnels et confrontés, de surcroît, à l’urgence des défis colossaux de ce siècle, de quels moyens d’agir sur soi et sur l’environnement disposons-nous réellement ?

La puissante dépendance au plaisir immédiat stimule la réitération des comportements, fussent-ils toxiques, pour une jouissance immédiate et éphémère. Ceci peut expliquer, pour partie, la difficulté à sortir de l’accélération toxique du mode de vie, de la tendance à transgresser les limites. Transgression des limites du raisonnable en toutes choses, transgression des limites des droits fondamentaux mués en droits individuels, transgression des limites de la démocratie pour jouir du libertarianisme, etc.

D’évidence, l’absence de limitation neuronale des comportements à satisfaction immédiate sous-tend une contrepartie bien connue : la constitution d’un corpus de droits pour réguler la vie en société à partir de valeurs et principes fondamentaux. Inévitablement, parler de droits fait surgir le concept de devoirs en retour.

Pour prendre du recul face à cette boucle infernale de surenchères sans limites, les initiatives de transition à caractère énergétique et écologique tireraient peut-être avantage à introduire dans leurs programmes de résiliences un commun immatériel quelque peu oublié, à savoir les Besoins de l’âme développés par Simone Weil dans L’enracinement. En voici la liste : l’ordre, la liberté, l’obéissance, la responsabilité, l’égalité, la hiérarchie, l’honneur, le châtiment, la liberté d’opinion, la sécurité, le risque, la propriété privée, la propriété collective, la vérité. Subordonnant la notion de droit à celle d’obligation, la philosophe développa ces Besoins de l’âme comme contrepartie et même comme condition d’accomplissement des droits humains. « Un droit n’est pas efficace par lui-même, mais seulement par l’obligation à laquelle il correspond ; l’accomplissement effectif d’un droit provient non pas de celui qui le possède mais des autres hommes qui se reconnaissent obligés à quelque chose envers lui. » 

Sortir des surenchères de droits, devoirs, normes et autres modalités paralysantes en dotant les outils d’évaluation des résultats intermédiaires des transitions énergétique et environnementale des Besoins de l’âme élargit le champ des communs, fait place à l’indice de développement humain3. Cela permet de soigner la vigueur de la démocratie locale en période d’incertitudes et de pénuries.

Un autre moyen d’agir pourrait s’inspirer d’une idée développée par Steven Pinker4. Un territoire souscrit un engagement très fort, par exemple une agriculture citoyenne. S’il tient ses engagements, il acquiert l’image d’un partenaire fiable dans d’autres domaines de coopération, que ce soit la réduction des gaz à effets de serre, d’un modèle sociétal, etc. Ce territoire deviendrait un territoire expérimental (article 72 modifié de la constitution). Comb Lab promeut le projet que les Combrailles deviennent un territoire expérimental.

Le droit ne se soutient que sur un ton de revendication ; quand ce ton est adopté c’est que la force n’est pas loin, sans cela il est ridicule.

Simone Weil (1909 – 1943)

La personne et le sacré

1 https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/06/13/crise-environnementale-notre-materiau-neuronal-nous-fait-repousser-l-idee-de-s-autolimiter_6130158_1650684.html

2 Lettre Comb Lab Juillet 2022 :https://www.comblab.fr/la-lettre-comb-lab-des-communs-a-toutes-les-echelles/

3 L’indice de développement humain (IDH) correspond à un indice composé calculé chaque année par le PNUD (Programme des Nations Unis pour le Développement) afin d’évaluer le niveau de développement des pays en se fondant non pas sur des données strictement économiques, mais sur la qualité de vie de leurs ressortissants.

4 linguiste et psychologue cognitiviste canado-américain

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