La lettre COMB LAB : Combrailles 2021-2051
Nous ferons de la Terre un jardin grouillant de vie et d’habitants réconciliant nature et culture.
François Xavier de Montard, GREFFE
Avec le changement climatique et la descente aux enfers de très nombreuses espèces vivantes et d’une bonne partie de l’humanité affamée par la désertification, allons-nous pleurer ou serons nous toujours davantage actifs pour y remédier ? Les deux probablement, dans un même mouvement.
Nous ne connaissons pas l’ampleur du désastre climatique à venir, – on peut encore penser y remédier progressivement d’ici 2100 – mais nous pouvons vraiment réunir, si nous le voulons,
- l’intelligence du cœur envers nos contemporains et nos descendants,
- le savoir faire de tous les pionniers d’une agriculture régénératrice des sols, de la diversité des vivants et d’une alimentation suffisante et saine,
- toutes les sciences, de la vie, de la terre et de l’homme pour comprendre la complexité et servir la durabilité de l’écosystème terrestre,
- la création de nouveaux agroécosystèmes aptes à remédier aux dégradations dues au tsunami démographique et technologique de l’humanité. Il s’agit de construire de nouvelles relations entre l’homme et la nature, en un mot réconcilier nature et culture.
Nous voici en France, une France qui a perdu plus d’un tiers de ses agriculteurs en 18 ans (38% de 2002 à 2019) sans aucune amélioration du revenu moyen de chaque agriculteur : cela signifie qu’une part considérable de la valeur ajoutée totale a été de plus en plus répartie vers l’amont et l’aval de l’agriculteur tandis que les dégâts à l’environnement, sur les sols, les eaux, l’air, le climat et les biodiversités, la naturelle et la domestiquée, entraient dans une phase d’accélération :
Les vertus tant vantées de l’agrandissement et du paquet « semences à haute performances +fertilisation minérale azotée intensive +pesticides +haute technologie » se révèlent totalement vaines du strict point de vue du revenu de l’agriculteur. L’illusion est complète et son coût est exorbitant en angoisse des agriculteurs pour leur avenir face aux variations des cours, en dégradation de l’environnement et en risques pesticides pour la santé.
Ce constat sévère n’est en rien un agri-bashing car les agriculteurs sont les premières victimes pressurées et abusées dans l’avancée d’un capitalisme excessivement financiarisé qui mène l’écosystème Terre – l’ensemble des êtres vivants – à la perdition. Chacun en ressent les premiers effets et ce n’est qu’un commencement, à moins que des décisions très puissantes soient prises pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) et reconstituer la maille de paysages pleins de vie.
L’agriculture contribue actuellement à environ 20% des émissions de GES : méthane des ruminants non herbagers, oxyde nitreux issu de la fertilisation minérale azotée, dioxyde de carbone issu de la destruction de l’humus par le travail répété du sol… etc… Les agriculteurs pionniers savent déjà établir les conditions de régénération des sols, de la diversité des cultures et des élevages et créer des paysages arborés protecteurs. Sur ces bases, il est possible de transformer les systèmes agricoles en systèmes diversifiés et durablement productifs et de prendre les mesures pour que les agriculteurs retrouvent un revenu décent en rémunérant mieux les produits d’une part, et les efforts pour l’environnement d’autre part.
Les aides de la PAC ont été décisives pour éviter l’effondrement de pans entiers de l’agriculture européenne ; toutefois le revenu reste très insuffisant pour la moitié des agriculteurs tandis qu’une grosse part des aides vont aux mieux dotés en Surface Agricole Utile ; le supplément d’aide apporté aux 52 premiers ha des fermes a été une mesure très judicieuse mais trop faible ; le renforcer très fortement aiderait beaucoup à maintenir et à développer l’effectif d’agriculteurs nécessaire pour la conception et la réalisation de systèmes agroécologiques peu émetteurs de GES, assurant l’entretien de la biodiversité et des paysages vivants et divers et une production abondante et de grande qualité. Cela a un coût en énergie humaine de conception des nouveaux systèmes, d’échanges permanents bien organisés d’expériences entre agriculteurs, de force de travail sur l’ordinateur, le tracteur et au contact des animaux et bien sûr en investissements dans la recherche et l’enseignement sur les systèmes durables basé sur l’utilisation et le renouvellement permanent des ressources naturelles.
Nous voici en Auvergne dans la moyenne altitude des Combrailles, avec des séquences de températures douces dès l’hiver, un éveil trop précoce de la végétation au risque des gelées tardives, des pluies erratiques et insuffisantes pour la poussée printanière dès avril, des sécheresses prolongées… Dans cette région d’élevage à l’herbe, bien typique du Massif Central, le programme de prospective climatique AP3C conduit par le SIDAM MC, a permis de prendre conscience des enjeux de ces changements en les projetant sur les différents systèmes de production agricole, un travail remarquable, indispensable de réflexion pour l’action.
Cependant les évolutions récentes évoquent un rythme de changements plus rapide, plus intense et plus chaotique que prévu. Il faut donc rester très vigilant et adaptatif à des transformations importantes sans se ruiner ; la recherche, l’enseignement, la formation sont autant d’atouts de connaissances pour gérer les situations nouvelles qui se présenteront ; si nouvelles qu’il faudra aussi une collaboration beaucoup plus étroite (i) dans les recherches collaboratives : l’agriculteur ouvre sa ferme aux chercheurs pour qu’ils appréhendent la réelle complexité du terrain et apprennent de son expérience riche de savoirs-faire à multiples dimensions ; et (ii) des recherches-action : le groupe d’agriculteurs est porteur de projets et d’innovations avec l’appui d’un pool d’agroécologie soutenu par des chercheurs.
La recherche-action pour des adaptations et des mutations de systèmes agricoles et alimentaires, forcément complexes est vouée à la lutte contre la dérive climatique et la perte irréversible de biodiversité ; elle requiert donc l’établissement de nouvelles solidarités entre les acteurs du terrain, dans la production, la transformation, les marchés, articulé avec les collectivités territoriales et leurs élus. La gestion coordonnée des arbres agroforestiers -de haies et de plein champ – pour atténuer les sécheresses, et la maîtrise la circulation de l’eau pour les entretenir grâce à l’infiltration localisée est l’exemple d’un enjeu majeur à double réciprocité « arbre-eau » parmi beaucoup d’autres qu’il faudra organiser en bonne cohérence d’ensemble très évolutive où les collectivités ont un rôle de rassembleur.
Une démarche commune est nécessaire pour construire de nouveaux équilibres plus équitables entre les circuits courts et les marchés plus ou moins lointains et trop indifférents aux destins des habitants d’ici ; il s’agit de ramener systématiquement une part plus grande de la valeur ajoutée et d’activités sur le territoire, le plus souvent en lien avec les villes proches. Il s’agit :
- de leurs citoyens-consommateurs qu’il faut éveiller et stimuler pour les intéresser aux ressources locales
- et de leurs pôles d’enseignement et de recherche qui sondent la complexité de systèmes d’économie circulaire, les confortent et espèrent faire advenir un monde plus durable.