Dans le cadre du BEC 63 2022, Comb Lab et Greffe élaborent les vidéos du projet la Mallette des Combrailles. Ce travail a permis d’affiner le concept de résilience porté par Comb Lab. Ce sont les conclusions de ce travail qui sont exposées dans cette lettre.
Dans la lettre de février dernier, nous avons inscrit la résilience au centre d’un ensemble sémantique composé notamment de solidarité, résistance, modernité et avons particulièrement mis en lumière le sens que prend, dans ce contexte, le terme résistance en tant qu’effort à développer, après un choc, pour se prémunir de la tendance naturelle à revenir à l’état antérieur ; état connu donc rassurant bien qu’imparfait. Un événement devient choc traumatique lorsque sa nature et son acuité engendrent une situation extrême. En pareille circonstance, résilience nomme aussi la capacité d’un individu ou d’un collectif à surmonter les conséquences souvent dramatiques d’un choc extrême et de dépasser ses compétences implicites et explicites. Il innove dans la situation, au sens strict de ce terme souvent galvaudé.
Des objections répétées nous amènent à penser que, si nous avons raisonnablement clarifié l’idée que le retour à l’antériorité relève de la chimère, il nous reste à affronter la critique selon laquelle la résilience est un processus d’après-coup sous-entendant que les résilients s’exonèrent de lutter contre les causes d’un événement de survenue plus ou moins imminente. Bien évidemment, il s’agit ici des limites de la résilience telle que prônée dans la presse, le marketing et le discours ambiant à propos du changement climatique. Formulée autrement, la critique qui nous est opposée soutient que le GIEC alerte alors que personne ne bouge significativement, notamment celles et ceux qui propagent l’idée de résilience.

Les travaux récents de Pascal Lièvre – Professeur des Universités en Science de Gestion, spécialiste du management des situations extrêmes voulues ou subies – se sont appuyés sur la recension des 1667 articles scientifiques consacrées à la résilience. Nombre en augmentation puisque 300 à 400 articles continuent de sortir chaque année. Désormais, il n’est plus raisonnable de s’en tenir à des généralités sur ce sujet devenu, de fait, domaine académique.
Cela précisé, revenons à la dialectique qui, opposant chez certains contradicteurs la résilience à l’anticipation des catastrophes, classe les défenseurs de la résilience parmi les fatalistes qui ne contribuent pas à lutter contre les causes de la perte de la biodiversité ni contre la production des gaz à effet de serre.
Certes, penser la résilience consiste, en première instance, à reconnaître le choc lié à l’événement extrême puis à rebondir (résilio en latin). Comme annoncé plus haut, être résilient impose d’agir – improviser, essayer – pendant le déroulement de l’événement. Une fois le choc subi s’ouvre un nouvel état distinct de l’état initial car, de fait, un nouveau regard sur le monde s’impose, faisant émerger des capacités plus ajustées à la nouvelle donne.
Comprendre la résilience consiste, chronologiquement, à reconnaître qu’il y a choc, puis à lui faire face en improvisant au fur et à mesure de son déroulement – état provisoire d’incertitude organisée – enfin, après-coup, à organiser l’état nouveau qui succède à l’état initial irréversiblement obsolète. En d’autres termes, comprendre la résilience impose d’améliorer constamment la gestion des risques et, autant qu’il est possible, de penser les incertitudes, c’est-à-dire l’inconnu. Comment cela ? En renforçant les points de fragilité d’un collectif ou d’un territoire. Dès lors, engager cet effort de ‘’résilience anticipatrice’’ n’a de sens qu’en incluant la lutte contre les causes du choc potentiel.
Le concept de résilience dévoile ici son historicité sémantique. Qualifiant initialement la force grâce à laquelle un matériau retrouve sa forme initiale à la suite d’un choc, il fut ensuite introduit en psychologie pour nommer la capacité d’un individu à supporter psychiquement les épreuves de la vie puis, à prendre un nouveau départ après un traumatisme. La résilience permet donc de dépasser l’état initial que le choc a anéanti. À présent, le concept de résilience s’étend également à l’anticipation raisonnée des risques et à la réduction des incertitudes.

Ainsi, l’approche par la résilience consiste à lutter dès à présent contre les causes et à planifier des hypothèses de sorte à évaluer les décalages entre l’avant et l’après de la perte sèche de la biodiversité et du changement climatique. Tout en gardant à l’esprit que les hypothèses seront toujours décalées par rapport aux réalités, celles-ci constituent un point d’appui d’une part pour penser les situations et d’autre part pour créer un récit facilitant la gestion de l’événement et rendant enviable l’indispensable progrès qui suivra.
Pour que la situation résultant d’un événement extrême ouvre aux personnes, aux organisations en tous genres et aux territoires un nouvel état d’être au monde, il faut développer la capacité d’observer les mécanismes engagés par l’événement extrême ainsi que les attitudes spontanées et autres comportements improvisés dans l’urgence. Ils nourriront les retours d’expérience en informations exploitables.
Notons que s’agissant du reflux de la biodiversité et de l’accumulation de gaz à effet de serre, nous vivons une période d’incertitudes à la fois subies et choisies. Raison de plus pour s’engager sans retenue dans des processus de résilience locale au sens le plus extensif du terme tel que ces lignes l’ont présenté.
On peut progresser uniquement dans un matériau résistant.
Clive Staple Lewis (1898 – 1963)
Hé, la mouche
Attention, il y a une vitre…