jeudi, mars 20, 2025

La lettre Comb Lab : Passage à l’acte ; un chemin trop escarpé ?

Depuis notre première lettre mensuelle – janvier 2021 – nous ne cessons de plaider pour la prise en considération des interactions et rétroactions sans fin du changement climatique et de la perte de la biodiversité sur tous les domaines de la vie des sociétés contemporaines, en particulier la nôtre. À l’évidence, la nécessité de changer de modèle de société passe d’option à impératif. Facile à dire. Et après… ?

Reconnaissons qu’au-delà des aléas économiques et politiques, nous inclinons tous à nous laisser facilement habiter par le sentiment d’une ‘’stabilité sociale suffisante’’. Stabilité certes d’apparence mais assez convaincante pour entretenir le mythe sous-jacent de la perpétuation de la croissance économique et du profit à court terme. Ce, tandis que nul –ou presque – ne conteste plus que nous vivons dans un monde fini.

En dépit de la brutalité des phénomènes météorologiques – inondations destructrices, sécheresses drastiques, canicules persistantes, gels tardifs, etc. – eux-mêmes conséquences du changement climatique, de la perte de la biodiversité et de la destruction de la forêt, les décideurs économiques et politiques renvoient sans horizon de dates, la mise en œuvre des dispositions réglementaires relatives à l’atténuation du réchauffement climatique, à la protection de la biodiversité et à la conservation de la forêt mondiale.

Le 14 octobre dernier se tenait à Bruxelles une importante session portant sur les questions agricoles. Certains parlementaires dénoncèrent l’organisation biaisée de cette journée, plusieurs acteurs n’ayant pas été auditionnés. Comme souvent, les applications de textes contraignants relatifs au changement climatique sont laissés à ‘’la marge nationale d’appréciation’’ des États membres. Manière d’aller dans le sens de l’indispensable transition sans contrevenir aux intérêts des majorités nationales rétives à la transition écologique et environnementale. Nous voilà très loin de la systémie des inter et rétroactions croisées exercées par le changement climatique dans les secteurs industriels, agricoles et sociétaux en général.

Image ARTE.TV

Ainsi, l’amoindrissement du volontarisme à conduire le Pacte vert européen après les nouveaux équilibres du Parlement européen issus des élections de juin 2024 ne couvre-t-il pas la quasi impunité des forages illégaux, des importations illégales de bois et autres contournements des normes et règlements ? cela revient à assumer, les yeux grands ouverts, la poursuite de la destruction de l’environnement, c’est-à-dire des conditions de vie stables et satisfaisantes de la chaîne du vivant. Au-delà de leurs dimensions délictueuses et criminelles, ces agissements relèvent de la bêtise. En effet, l’espèce humaine en tant que dernière arrivée après les végétaux et les animaux, dépend totalement de la chaîne alimentaire. Les humains se retrouvent donc mécaniquement en position de premières victimes des dysfonctionnements de ladite chaîne. Flaubert écrivait : « La bêtise consiste à vouloir conclure ». Et, au XV° siècle, Machiavel pointait que : « Les grands hommes appellent honte le fait de perdre et non celui de tromper pour gagner. » Mais gagner quoi ? Un mandat électif supplémentaire ?

Au fond, la question ne ressort-elle pas plus des modalités contemporaines d’exercice du pouvoir que des acteurs eux-mêmes ? La puce est mise à l’oreille par l’exploration au plus près de l’exercice du pouvoir dont rend compte le livre de Marie de Gandt1. Le contexte informationnel engage l’opinion publique à penser qu’une décision bien carrée est quasi gravée dans le marbre puis mise en œuvre. C’est précisément le côté ‘’bien carré’’ que la lecture de Marie de Gandt met à nu. Interventions des uns, refus des autres, recherche de formules adéquates, créent un inévitable écart entre la volonté politique de première intention et la version finale du discours. Là nichent tromperies et plasticité d’appréciation.

NATIONS UNIES

Dans ce contexte, nous pensons le plus grand bien des Agences que l’État installe dans les territoires pour la transition écologique et la transition énergétique. Pour majeures et strictement indispensables que soient ces deux secteurs de la transition, leurs effets ne peuvent qu’être incomplets aussi longtemps qu’ils restent isolés de leurs rétroactions croisées sur les modes de culture et d’élevage, isolés de la plus élémentaire équité dans la répartition des aliments. Toutes ces transitions fondamentales et urgentes qui vont introduire de l’inconfort dans nos vies quotidiennes ne sont que volcans en sommeil tant que les efforts de convergence entre la justice sociale et la justice environnementale n’auront pas été engagés autrement que par un rapport de force aveugle, brutal, voire belliqueux. Qu’on le veuille ou non, cette question des justices convergentes constitue le socle sur lequel les transitions sectorielles peuvent exprimer toutes leurs vertus.

Et nous en revenons aux modalités d’exercice du pouvoir. Dit autrement, engager la transition écologique, la transition énergétique, la transition agricole, le raccourcissement des chaînes de valeur, sécuriser un accès universel à une alimentation digne, harmoniser dans une dynamique vertueuse justice sociale et justice environnementale, tous ces facteurs de résilience face au changement climatique posent une fois encore la question de l’exercice démocratique du pouvoir et, notamment, la place de la société civile dans les processus décisionnels.

1 Marie de Gandt Sous la plume, Petite exploration du pouvoir politique Robert Laffont 2013.

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