jeudi, avril 25, 2024

La lettre COMB LAB : Faire courage-commun

Tandis que le nombre des climatosceptiques finit de s’amenuiser, beaucoup d’organisations et de groupes de pression persistent à dédaigner l’insolvabilité sociétale et climato-environnementale de l’ultralibéralisme et, par extension, méprisent l’inévitable faillite de la démocratie quand règne le libertarianisme.

L’effet ‘’tranquillisant’’ de la pilule procrastination explique ce contournement, jusqu’au tout dernier moment, de la réalité. Tout le monde procrastine des décisions par peur de perdre des avantages confortables ou bien de ruiner des investissements en cours. En effet, les logiques internes du système économique fondé sur la compétition pour la recherche de gains toujours plus élevés conditionnent depuis l’enfance nos réflexes d’insatiabilité.

La procrastination foudroie la force d’âme nécessaire pour mobiliser, à parts égales, le courage et la tempérance en vue de dominer l’épouvante qui fait perdre son sang-froidi face au risquede l’anéantissement d’un confort immédiat et des positions de domination. Réflexe discordant avec l’urgence de la situation globale à laquelle l’humanité entière fait face.

Le philosophe allemand Hans-Georg Gadamer (1900 – 2002)ii décortique ce phénomène en invitant à penser le possible en tant que possible c’est-à-dire penser l’inverse de ses intérêts immédiats comme possible. Ce qui ne condamne pas à renier ses croyances et certitudes antérieures mais permet de voir l’obsolescence de leurs dynamiques internes lorsque le contexte antérieur qui les a portées est irréversiblement révolu. Cela peut mener à un retournement : ce n’est alors plus la procrastination qui permet de contourner le réel mais la vision du réel qui permet de contourner la procrastination et de saisir l’irréversibilité des dynamiques antérieures.

Pendant le temps nécessaire à reconnaître le possible comme possible, le changement des conditions biosphériques accélèreiii et, désormais, fait loi. Partout dans le monde, les actualités météorologiques, sanitaires et politiques témoignent de l’urgence, pour les populations et les gouvernants, de placer le curseur entre deux pôles. D’un côté les désordres de grande ampleur nourrissant le chaos. De l’autre, la poursuite de l’effort civilisationnel au long cours avec une égale priorité pour :

  • a) les valeurs d’éducation, de solidarité, d’égalité en droit,
  • b) les ressources vitales (l’eau, l’air, la fertilité des sols),
  • c) les processus sanitaires et économiques décents où les inégalités restent en deçà du seuil d’acceptabilité morale.

Les décennies écoulées, ponctuées d’alertes faisant autorité, ont prouvé que l’entrée authentique en transition ne se décrète pas. Elle suit avec un fâcheux retard les contraintes environnementales – dont l’acuité augmente sans répit – et les initiatives locales, les pouvoirs publics lançant alors des programmes par trop sectoriels.

Sensibles à ces alertes récurrentes, d’aucuns en appellent au principe de précaution. Le philosophe Hans Jonas (1903 – 1993) soutenait que : « le problème même auquel le principe de précaution tente d’élaborer une solution est celui de la maîtrise de notre maîtrise, celui de la façon dont nous pouvons guider une puissance technique. Le développement de notre puissance technique est celui de notre responsabilité. »iv Si le principe de responsabilité est central, il convient cependant de se garder du risque d’absolutisation de la responsabilité. A cet égard, Catherine Larrèrev propose : « la mise en débat public des questions contemporaines d’éthique, ce qui encourage la démocratie participative. »

Comme en écho, Cynthia Fleury alerte sur le « rendez-vous du courage avec la raison qui ne ruse plus. »vi Elle ajoute : « Le lien social s’arrête et recommence avec le courage. »vii Pour que nos sociétés entrent en résilience, c’est aux échelles individuelle, collective et sociétale, donc Politique qu’il faut répondre à l’exigence d’un courage déterminé et prudent pour initier la pondération du réflexe de l’appropriation pulsionnelle des biens et positions dominantes en vue de passer à une économie des communs qui, évidemment, englobe la propriété privée. Le chaos n’est pas une fatalité.

Mue, comme d’autres, par cette conscience, l’association COMB LAB s’est constituée en 2019 à partir d’un constat sur la base duquel elle avance une hypothèse d’action et investit son énergie en vue de contribuer, en sa qualité d’organe de la société civile, à la mise en adéquation des potentiels des Combrailles avec l’ensemble des défis de ce siècle. En son sein, nous nous efforçons de faire ‘’courage commun’’ avec les multiples structures de la société civile et les élus du territoire sans omettre de faire place aux activités humaines toujours incertaines et aux retournements de l’histoire.

  « L’art de la dialectique n’est pas l’art d’argumenter triomphalement contre tout un chacun.

L’art de questionner, c’est l’art de continuer à questionner, donc l’art de penser. »viii

Gadamer

i Définition de la peur donnée par le dictionnaire historique de la langue française. Le Robert 1999

ii Hans-Georg Gadamer. Vérité et méthode, Les grandes lignes d’une herméneutique philosophique. Seuil 1976. Page 211.

iii Le 10 août 2021, la revue Nature a publié une étude consacrée à l’Atlantic Meridional Overturning Circulation (AMOC). Julie Deshayes, chercheuse océanographe au CNRS commente : « L’AMOC n’est pas un seul courant, mais une moyenne, une construction mathématique qui regroupe, fusionne plusieurs courants différents dans tout l’Atlantique Nord, dont le Gulf Stream. (…) Le climat actuel n’est pas stable et on ne sait pas comment les conséquences de l’effondrement de l’AMOC vont interagir avec les conséquences directes du changement climatique telles que l’augmentation des températures, la modification du cycle de l’eau, etc. »

Sylvie Burnouff écrit dans Le Monde daté du 13 août : « le trait de côte à une douzaine de kilomètres de Calais recule de 4 à 5 mètres en moyenne chaque année. »

iv Monique Canto-Sperber (sous la direction) Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale. Article de Catherine Larrère ; Tome 2, 1534 – 1536.

v Ibid.

vi Cynthia Fleury La fin du courage. Le Livre de Poche 2020. Page 12.

vii Ibid. Page 50.

viii Ibid. page 213.

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