La lettre Comb Lab : Deux révolutions et une impasse
Principes éthiques issus de Nuremberg (1945), Déclaration universelle des droits humains (DUDH) de 1948, exercice des libertés fondamentales, universalisation des solidarités sociales et primauté de l’État de droit, apportèrent une réponse factuelle au « Plus jamais ça » scandé à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Deux dynamiques majeures brisent cette trajectoire à caractère civilisationnel.
Premièrement, au tournant de la décennie 1980, le libéralisme économique décomplexé conjugua l’illusion d’abondance éternelle avec la marchandisation de tout produit, service, acte de solidarité de proximité. Les libertés fondamentales et l’universalisme des solidarités sociales résistent difficilement à un tel cocktail. Objectif atteint : consommation pulsionnelle et égoïsme social gangrènent en profondeur le corps social.
Deuxièmement, vingt ans plus tard, au début de ce siècle, l’irruption de la Tech1 effaça irréversiblement les principes relationnels qui présidaient aux relations interpersonnelles et aux relations des citoyens avec leurs institutions. Forte de sa seule puissance économique, la Tech sape l’autorité politique et judiciaire, s’arroge sans aucune légitimité formelle la compétence d’ouvrir ou fermer des comptes, de laisser, ou non, circuler des propos haineux, violents, maltraitants et racistes sur les réseaux pendant que les algorithmes dérobent impunément les détails de la vie de chacun.
Il saute aux yeux que le libéralisme économique et financier le plus débridé est servi par le libertarianisme des concepteurs des réseaux numériques et des algorithmes prédateurs, le tout hors de toute régulation. La loi du plus fort, établie en principe universel, balaie sans résistance les processus politiques issus de 1948. Quelle autorité politique assume aujourd’hui le respect des valeurs énoncées dans l’article 12 de la DUDH ?
« Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. »
Objectivement, une innovation technologique – la Tech – a fait bifurquer le consensus social issu de la volonté d’en finir avec les âges obscurs. Pour le moment, aucun nouvel ordre social n’a émergé. Tout internaute participe à cette bifurcation lorsque, pour satisfaire dans l’instant une curiosité irrépressible, il accepte les cookies. Le clic d’acceptation vaut renonciation à la démocratie et écrase les avancées des droits fondamentaux et des libertés individuelles établis après des millénaires d’esclavage et de guerres génocidaires. Qui s’en soucie lorsque l’index presse la souris ?
Mais alerter d’une nocivité (le clic pulsionnel) ou de l’imminence d’une échéance dangereuse (climatique), déclenche rarement un changement de comportement. Le GIEC et l’ONU2 en savent quelque chose. Faut-il ‘’parler boursier’’ et se laisser contaminer par la pulsion sondagière pour trouver le langage du court-terme et convaincre enfin ceux qui lui sont fidèles ? A moins qu’il faille trouver les leviers de prise de conscience à partir des pénuries issues du saccage des ressources naturelles, les plaisirs répétitifs et le déni des enjeux du siècle. Déni dans lequel se réfugient les consommateurs compulsifs qui veulent ignorer la physique de l’atmosphère et les mécanismes océaniques. Il reste urgent de faire éclater les bulles d’indifférence et de déni qui enferment des esprits étanches aux réalités de portée universelle.
Il existe une famille de pensée considérablement peuplée et fort disséminée sur la planète dans laquelle s’inscrit Comb Lab. Prenant en compte l’avènement de la société numérisée et la sortie de l’esprit de 1948, un nombre considérable de femmes et d’hommes portent des projets éthiques relevant de l’Économie sociale et solidaire (ESS). Ces communautés s’activent pour qu’advienne la sortie de l’impasse climatique dans laquelle décideurs politiques et économiques drogués au court-termisme maintiennent le monde.
La capacité de la Tech à s’imposer en une seule fois à toutes les échelles géographiques et temporelles, a engagé la population mondiale dans une immense et probablement irréversible bifurcation. Un tel coup de maître ne se copie pas mais… peut inspirer. Ces dernières décennies des progrès significatifs ont été réalisés dans les sciences de l’innovation et de la création (méthode TRIZ – théorie C-K). Des travaux portant sur des systèmes d’économie solidaire prolifèrent. A notre échelle, avec nos partenaires, nous croisons en permanence des travaux menés dans de nombreuses disciplines académiques. Ainsi nous enrichissons en temps réel le processus de résilience locale mentionné dans notre précédente lettre.
Ce faisant, nous poursuivons notre engagement pour que ‘’ça’’ change…
1 Philippe Delmas, ancien vice-président d’Airbus, le 06 02 2021 sur France culture : « La Tech c’est tout ce que l’électronique a permis de produire depuis l’apparition des puces, fin des années 60 ; les composants, mémoires, microprocesseurs, machines qui font des calculs : les ordinateurs, et leurs déclinaisons : fibre optique, internet, téléphone mobile et toutes leurs applications. »
2 Alerte de l’ONU : https://news.un.org/fr/story/2022/10/1129172
Merci pour cette lettre.
Les messianismes prometteurs, mais bâtisseurs d’illusions fondent toujours leurs propositions sur la négation de la dimension yranscedante du développement humain, étant certains de l’avoir tout entier à leur disposition.
Mais…un village dont la population grossit résiste.