La lettre COMB LAB : Des communs à toutes les échelles
Non sans ambiguïté, le vocable « communs » s’impose de plus en plus dans le vocabulaire courant. Relève du bien commun une ressource dont le degré de nécessité pour tous interdit moralement son inclusion dans le système marchand. L’exemple emblématique serait l’air. Mais le marché des quotas de pollution ne réintègre-t-il pas de fait l’air respirable dans le système marchand ? N’en va-t-il pas de même avec le détournement ou la rétention des voies d’eau pour servir l’industrie ou l’irrigation des terres stérilisées par les intrants chimiques au détriment des communs de proximité et de la biodiversité des cours d’eau ? Pire encore, la quasi impossibilité pour des millions de personnes d’accéder à l’eau potable ne défie-t-elle pas l’entendement ? D’autres ressources vitales font également l’objet de spéculations indignes d’une civilisation millénaire.

Complémentairement aux biens communs, l’univers des communs intègre la gestion collective de ressources naturelles locales, d’entreprises commerciales telles que les coopératives, etc. Les biens communs, ou tout simplement communs, sont des situations et ressources non commercialisables protégées de la rationalité économique et de la surexploitation, gérées par une communauté, celle-ci établit des règles et une gouvernance dans le but de préserver et pérenniser cette ressource.
Désormais, même si nous n’en mesurons pas encore la portée, le reflux de la biodiversité et le changement climatique créent des conditions environnementales nouvelles qui posent à nouveaux frais la juste adéquation des ressources vitales avec les besoins fondamentaux de la population. La question devient alors : quelles conditions favoriseraient, en contexte violemment contraignant, un rebond de solidarité plutôt que l’exacerbation des spéculations jouant sur la rareté, qu’elle soit naturelle ou instrumentalisée ?
L’expérience montre, au long des âges, que les décideurs économiques et politiques restent peu mobilisables par les valeurs morales. L’esprit de compétition érigé en principe détourne mécaniquement l’exercice du pouvoir de faire ensemble au profit du pouvoir sur les congénères. L’éthique de la répartition des biens indispensables pèse peu face à l’égoïsme qui sous-tend la compétitivité au détriment de la solidarité et des communs promptement étouffés par les marchés.
Face à cette situation de privation d’accès aux bien communs et de difficulté à constituer des communs entre riverains de rentes géographiques et géologiques, la question devient : comment être en capacité d’user des ressources et rentes pour le bien de tous ?
Pour qui la préoccupation des communs ne peut laisser en paix ; pour qui veut participer, ne serait-ce qu’à l’échelle de sa modeste personne, à l’effort de résilience auquel les conditions du XXI° siècle n’octroient aucun répit, voici trois pistes dont la convergence ouvre des perspectives :
- Le philosophe Paul Virilio (1932 – 2018) développa une ample réflexion sur la vitesse :
« La vitesse insurpassable de la lumière organise tout le système. La vitesse en tant que relation entre les phénomènes est un élément constitutif de la vie politique et sociale des nations, et ceci à travers la richesse. Les sociétés antiques, du reste comme les sociétés modernes, sont constituées autour de la richesse, mais on oublie que la richesse est liée à l’acquisition de vitesses supérieures qui permettent de dominer les populations, le territoire et la production. »
- Les travaux de Paul Virilio associaient droit et territoire :

« Il n’y a pas de droit sans territoire du droit. A mon avis cela est un élément très important qu’il faudrait bien méditer en cette période de déterritorialisation, de délocalisation, pour ne pas dire de déportation. Il n’y a de droit pour celui qui est d’un lieu, qui outre l’existence possède le lieu, qui a “l’avoir lieu”. On dit toujours d’une action qu’elle “a eu lieu” ; or, le droit a lieu ; il n’y a pas de droit sans lieu. »
- Enfin, en prolongement des travaux d’Alexis de Tocqueville (1805 – 1859), la sociologue Dominique Schnapper introduit le concept de démocratie « extrême » pour qualifier :
« La tendance des démocrates à réclamer toujours plus de liberté – jusqu’à confondre la liberté avec la licence et l’aspiration libertaire –, à réclamer, au nom de leur liberté personnelle, le droit de faire ce qui leur plaît, sans tenir compte des autres ni des contraintes de toute vie collective ».
Tandis que les communs relèvent désormais de l’impératif, il ressort de ces quelques lignes que la persistance du droit résonne avec territoire, donc que la (bonne) vie locale s’articule avec la compétence en informatique puisque cette technique fonctionne à un niveau proche de celui de la vitesse tenue pour absolue.
Dans le strict respect de la propriété privée, c’est en poussant au maximum la vitalité locale et en éduquant les jeunes à produire du code informatique que les habitants et usagers des Combrailles, en synergie avec les agriculteurs en transition agroécologique, engendreront le pouvoir de gouvernance des communs qui, de fait, appartiennent à tous… donc à personne en particulier.
Ni fusion utopique ni autonomie illusoire, le « pluralisme ordonné », véritable révolution épistémologique, est l’art de dessiner un espace juridique commun.
Mireille Delmas-Marty (1941 _ 2022)